PETITE PRÉHISTOIRE DE NOS COULEURS DE PEAU

Auteur/autrice de l’image

Emmanuelle

évolution homme peau

Consultante en image, Styliste,
Auteure et Formatrice.

Je partage avec vous ma passion pour l’Analyse Couleur, grâce à des articles ludiques et pédagogiques.

J’inaugure enfin ce Blog !  Et pour ça, j’ai cherché un sujet qui nous décentre un peu de notre seule apparence. Une Science Sous la Robe se fiche pas mal des tendances mode. Ce qui nous intéresse, c’est Comprendre.

Donc je me suis dit : « Pourquoi ne pas retracer l’apparition de nos différentes couleurs de peau depuis la préhistoire ? » Bien ! Mais comment survoler 7 millions d’années sans faire de raccourcis risqués ?

Parce que nous nous aventurons ici dans un champ de connaissances dont les théories sont sans cesse remises en question par de nouvelles découvertes. Un véritable feuilleton à rebondissements.

La réponse en 5 étapes clefs qui mettent tout le monde d’accord.

PLAN DE L'ARTICLE

Les Premiers Hominidés (-7 M.A.)

Pré-humain hominidé Tautavel

« Pré-Humains » – 2019, Musée de Tautavel
N.B. : M.A. pour Millions d’Années

L’histoire humaine a installé ses plus grosses racines dans l’Afrique sub-saharienne. Les premiers hominidés sont des bipèdes couverts de poils. Et sous les poils, leur peau est dépourvue de pigmentation.

Pourquoi cette absence de couleur ?

Parce que la pilosité de nos lointains ancêtres suffit à les protéger du soleil. Elle rend toute pigmentation inutile, tout en étant bien adaptée à leur mode de vie.

Mais le climat change. Il devient progressivement froid et sec. La forêt tropicale se transforme en savane et la pression sélective fait son travail.

La Lignée HOMO (-2,8 M.A.)

Progressivement, nos hominidés marchent sur de plus longues distances. Ils se dépensent davantage pour survivre, et leur morphologie évolue.

Leur corps s’élance. Les jambes s’allongent, le nez devient plus saillant, la couche graisseuse dermique s’épaissit, la vascularisation et la température corporelle augmentent.

C’est ainsi que la lignée Homo fait son apparition et donne naissance à plusieurs espèces hyperactives – Homo Habilis, Homo Rudolfensis, etc. – alors même que la Terre s’apprête à traverser plusieurs glaciations et réchauffements successifs.

Le Singe nu (-1,5 M.A.)

Résultat direct de cette hyperactivité : leur peau s’équipe de très nombreuses glandes sudoripares eccrines qui régulent plus efficacement la chaleur corporelle.

« Quésako » dites-vous ?
Ce sont les 3 à 6 millions de pores répartis sur l’ensemble de notre peau, qui servent à produire et à évacuer la sueur. Sueur composée à 99% d’eau, laquelle hydrate notre épiderme et nous rafraîchit lorsqu’elle s’évapore. Ces glandes sont un atout important pour la lignée Homo, car elles ont aussi un rôle immunologique et un rôle dans la cicatrisation des plaies.

Dans le même temps, leur pilosité devient encombrante et inutile. Et elle régresse en un fin duvet corporel, à l’exception de quelques zones bien localisés (tête, aisselles, pubis).

Homo Habilis et Homo Erectus
Glandes sudoripares eccrines

Homo Habilis et Homo Erectus

Pigmentation : à quoi ça sert ?

Pendant qu’elle fait l’abandon de ses poils, la lignée Homo, avec sa peau claire, rencontre une nouvelle limite. Désormais, le soleil et ses rayons constituent une agression.

Qu’à cela ne tienne. L’évolution sélectionne des individus à la peau de plus en plus foncée, de plus en plus chargée en mélanine. Du grec ancien mélanos (noir), la mélanine est un pigment que l’on retrouve quasi exclusivement dans le règne animal et qui a la capacité d’absorber les rayons UV dont il neutralise la nocivité.

Ainsi, dans cette région du globe, peau foncée et transpiration corporelle sont le doublé gagnant.

Mais tout n’est pas si simple.

Chaque choix évolutif est une question d’équilibre.

Or plus une peau est foncée moins elle réfléchit la lumière, et plus elle absorbe de chaleur.
Ce qui, dans certaines conditions, peut occasionner un stress thermique par accumulation.

Mélanocytes
OpenStax College, CC BY 3.0 / modifié

L’intensité de la pigmentation est donc le résultat d’un compromis entre :
          – créer une protection contre les brûlures solaires (plus de mélanine)
          – et limiter l’accumulation de chaleur (moins de mélanine).

Sorties d'Afrique (-2 à -0,1 M.A.)

« Out of Africa. » La lignée Homo sort finalement de son berceau africain.
Nous n’allons pas nous attarder sur les différentes migrations d’H. Habilis, d’H. Erectus ou de notre ancêtre le plus direct Homo Sapiens, d’autant plus que les paléontologistes ont élaboré plusieurs scénarios. Seule leur peau nous intéresse.

Dépigmentation : le gène MC1R

Ce que nous savons avec certitude, c’est qu’au fur et à mesure que la lignée Homo progresse dans l’hémisphère nord, la quantité de soleil diminue et devient saisonnière. Ce changement de latitude et de climat entraîne alors une sélection des peaux les plus claires.

La dépigmentation de la peau, qui nécessite 10 à 15 mille ans minimum, est aujourd’hui attestée génétiquement par la présence du gène de la dépigmentation : MC1R.

MC1R est présent, par exemple, chez notre cousin Néandertal, qui a vécu en Europe et en Eurasie entre – 300 mille et – 30 mille ans (avant J.-C). En 2007, ce gène a été localisé chez plusieurs individus vieux de 50 mille ans. Rien de plus précis, nous savons juste qu’entre sa sortie d’Afrique et sa disparition, Néandertal a largement eu le temps d’éclaircir.

Migration et couleur de peau
DennisPietra / modifié

Une deuxième version du gène MC1R est présente chez Cro-Magnon, le Sapiens venu d’Afrique, arrivé en Europe il y a 50 mille ans, et qui a cohabité avec Néandertal jusqu’à la disparition de ce dernier.
La génétique montre qu’il a gardé une peau foncée pendant 40 mille ans, et qu’il a commencé à éclaircir, il y a seulement 10 mille ans.
En Europe, la peau claire s’est ensuite généralisée progressivement jusqu’à la fin du néolithique, aux alentours de – 2000 ans avant J.-C.

Du Soleil et des Vitamines...

Il reste encore un point à éclaircir.

On constate que le début de la dépigmentation peut être considérablement retardé, comme chez Cro-Magnon par exemple. Le phénomène n’est pas aussi linéaire que l’on pourrait s’y attendre. Pourquoi ça ?

Les effets des UV...

Nous savons aujourd’hui que les rayons UV, par leur action directe dans les couches profondes de la peau, ont la capacité :

– de détruire les vitamines A et B9 (folates), ainsi que l’ADN : avantage aux peaux foncées.
– de stimuler la production de Vitamine D : avantage aux peaux claires.

Soleil vitamines pigmentation

Effets des UV sur les vitamines circulantes
apportées par l’alimentation
Ilariac2008t, CC BY-SA 4.0

... sur les Vitamines.

La vitamine A est essentielle à la vision et à l’immunité.

Les folates (B9) sont indispensables à la synthèse et à la réparation de l’ADN. Un déficit peut donc conduire à des malformations congénitales.

La vitamine D conditionne la solidité du squelette et l’efficacité de la force musculaire, deux avantages concurrentiels de taille pour nos ancêtres. Une carence entraîne : rachitisme, fatigue, fragilité osseuse, musculaire et immunitaire. Synthétisable par le corps humain, son importance est telle qu’on la considère comme une hormone.

Si toutes ces vitamines sont présentes dans l’alimentation, seule la vitamine D a un impact sur la dépigmentation. En effet, si elle vient à manquer, le corps cherche à en synthétiser davantage. Et pour cela, il fait en sorte de faciliter la pénétration des rayons UVB à travers l’épiderme.

Donc, la dépigmentation commence :
quand la vitamine D alimentaire (d’origine animale) devient insuffisante,
pour permettre aux rayons UVB de passer plus facilement, afin de stimuler la production de vitamine D.

L'évolution, une histoire d'équilibre

L’évolution est donc une affaire d’équilibre, et notre histoire ne manque pas d’exemples pour le montrer.

Cro-Magnon a éclairci plus rapidement après le Néolithique, quand son alimentation est devenue riche en céréales et déficitaire en vitamine D.

A l’opposé, les Inuits du grand nord ont gardé jusqu’à aujourd’hui une peau cuivrée, plus foncée que l’Européen moyen, malgré le peu de soleil, le grand froid et les vêtements épais, parce qu’ils ont profité d’une alimentation animale crue extrêmement riche en vitamine D (viscères et graisse de phoque, ou de baleine). C’est l’Inuit paradox.

Constat et prévention

Pour terminer, jetons un coup d’œil sur notre époque.

Ces derniers siècles, de grands mouvements de masse ont modifié la répartition originelle de la pigmentation humaine (colonisation, esclavage, déportations, migrations, etc.). De manière concomitante, le développement des transports aériens et maritimes nous ont donné l’impression que nous pouvions vivre partout et nous adapter à n’importe quel climat.

Distribution des différentes couleurs de Peau

Couleurs de Peau au 21ème siècle
RenatoBiasutti, CC BY-SA 4.0

La dure réalité, c’est que la peau humaine n’a pas le temps de s’habituer. Retenez seulement que pour une même quantité de soleil, une peau foncée produit 6 fois moins de vitamine D qu’une peau claire. Alors attention aux carences dans les régions peu ensoleillées, ou dans les régions ensoleillées où les habits sont très couvrants.

Cette plongée dans notre histoire se termine. N’hésitez pas à réagir ou à me poser des questions.

Sources :
– « le soleil dans la peau » – Dr Alain Froment – éditions Robert Laffont
hominides.com, lejournal.cnrs.fr, journals.openedition.org
– les reconstructions Paléoart de
l’Atelier Daynès

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